Mariage des mineurs : Une troisième voie est-elle possible ?

Avec la réforme attendue du code de la famille, fruit d’une volonté royale, la question du mariage des mineurs reste controversée au Maroc. Une partie de la société, surtout urbaine et moderne, exige l’interdiction du mariage avant l’âge de 18 ans sans aucune exception, tandis qu’une autre partie, traditionnellement conservatrice et surtout rurale, défend le mariage des mineurs en se basant sur les réalités socio-économiques et religieuses existantes. Il convient de noter que les arguments des deux parties ne sont pas dénués de logique, car il existe des cas où des interdictions devraient être imposées et d’autres où la permissivité peut être envisagée. C’est une question d’équilibre.
Mariage des mineurs : Peut-il y avoir une troisième voie ?
Dans la sphère sociale, il n’y a pas deux mariages de mineurs qui se ressemblent, il est donc utile d’en approfondir les détails.
Que dit la loi ?
L’article 19 de la loi actuelle sur la famille fixe l’âge légal du mariage à 18 ans. L’article 20 stipule qu’un juge spécialisé dans les affaires familiales peut autoriser le mariage d’un mineur (homme ou femme) avant l’âge de 18 ans, à condition que la décision soit justifiée et qu’elle expose les intérêts et les raisons qui justifient le mariage. Le juge doit entendre les parents ou le représentant légal du mineur et peut procéder à un examen médical ou à une enquête sociale pour déterminer la capacité physique et mentale du mineur à se marier. La décision du juge d’approuver le mariage n’est pas susceptible de recours.
Statistiques sur les mariages de mineurs au Maroc :
Environ 300 000 mariages sont célébrés chaque année au Maroc, dont environ 13 000 concernent des mineurs, ce qui représente 4,5 % de l’ensemble des mariages. La plupart de ces mariages (92 %) concernent des filles mineures, tandis que 8 % seulement concernent des garçons. Les mariages de mineurs aboutissent souvent à un divorce après quelques années, des études indiquant qu’environ 50 à 60 % de ces mariages se terminent par un divorce après 2 à 5 ans en raison de la violence conjugale.
Positions en faveur de l’interdiction du mariage des mineurs :
Les partisans d’une interdiction totale du mariage des mineurs avant l’âge de 18 ans présentent plusieurs arguments d’ordre juridique, social, sanitaire et économique. Selon eux, l’annulation des exceptions judiciaires est nécessaire pour protéger les mineurs, en particulier les filles, des effets négatifs de ces mariages précoces.
- Violation des droits de l’enfant: Le mariage des mineurs va à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont le Maroc est signataire, comme le droit à l’éducation (déscolarisation) et le droit à la santé (risques sanitaires pour les mineures).
- Des effets graves sur la santé: Comme le taux de mortalité élevé chez les jeunes mères en raison des grossesses précoces et des problèmes de santé maternelle et infantile.
- La pauvreté persiste: Le mariage des jeunes filles réduit leurs possibilités d’éducation et d’emploi, contribuant ainsi au cycle de la pauvreté.
- L‘inégalité entre les sexes: Les filles représentent près de 90 % des mariages de mineurs, ce qui reflète leur vulnérabilité structurelle et renforce leur marginalisation sociale.
Positions en faveur du maintien des exceptions au mariage pour les mineurs :
D’autre part, certaines parties défendent le maintien des exceptions dans le droit de la famille, sur la base d’arguments religieux, sociaux et économiques. Certains affirment que le mariage des mineurs peut être une solution à de nombreux problèmes sociaux dans certaines zones rurales.
- Arguments religieux et traditionnels: Certains affirment que l’islam n’interdit pas le mariage avant la puberté si la puberté biologique est atteinte.
- Arguments socio-économiques: Dans certaines zones rurales, le mariage précoce est considéré comme une solution pour réduire les charges familiales et améliorer le statut économique grâce à la dot.
- Arguments juridiques et pratiques: On estime qu’un système juridique souple permet de traiter des cas exceptionnels tels que les grossesses précoces.
À la recherche d’une troisième voie
La réalité sociale du Maroc, avec ses disparités de développement entre les zones urbaines et rurales, exige un traitement attentif de la question du mariage des mineurs. D’où l’importance de développer un cadre juridique qui traite les questions en détail, en mettant l’accent sur l’intérêt à long terme et la protection du mineur.
Voie juridique proposée
Il peut être nécessaire de consacrer un chapitre entier de la loi sur la famille au « mariage des mineurs », en fixant des conditions strictes tout en garantissant la protection du mineur avant et après le mariage. Ces conditions sont notamment les suivantes
- Évaluation médicale et psychologique du mineur: Le mineur doit être évalué par un professionnel de la santé médicale et mentale avant que la décision de se marier ne soit prise.
- Le consentement des parents ou des tuteurs: Les parents ou les tuteurs doivent fournir une justification réelle du mariage.
- Protection du mineur après le mariage: Le contrat de mariage doit contenir des clauses qui garantissent la protection du mineur, telles que la conservation de la dot sur un compte réservé jusqu’à ce que le mineur atteigne l’âge de 18 ans.
Défis sociaux modernes dans les zones rurales
La dynamique sociale évolue rapidement, en particulier dans les zones rurales. Avec l’utilisation accrue des smartphones et de l’internet, la forme d’interaction entre les adolescents change, ce qui conduit certaines filles à vouloir s’affranchir de situations sociales limitées et à commencer une nouvelle vie. Ce changement peut faire apparaître le mariage précoce comme une solution pour atteindre l’indépendance, même si ces filles ne sont pas prêtes psychologiquement et émotionnellement à se marier.
Conclusion
Le Maroc est confronté à un défi juridique et social majeur sur la question du mariage des mineurs, car il faut trouver un équilibre qui garantisse la protection des mineurs dans tous les cas, tout en tenant compte des réalités sociales et culturelles.